Le paiement des salaires en crypto-actifs
Analyse juridique et fiscale - Risques
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Cette synthèse offre des informations générales sur le cas d’un paiement de salaire en cryptoactifs et ne constitue pas un conseil juridique personnalisé.
Pour des situations spécifiques, il est recommandé de consulter un professionnel du droit.
1. Droit du travail
1.1. Le principe : le salaire est payé en espèces, chèque ou virement bancaire
"Sous réserve des dispositions législatives imposant le paiement des salaires sous une forme déterminée, le salaire est payé en espèces ou par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal dont le salarié est le titulaire ou le cotitulaire. Le salarié ne peut désigner un tiers pour recevoir son salaire.
Toute stipulation contraire est nulle. […]." (article L3241-1 du code du travail)
Il ressort de cette disposition que le salaire doit être payé en monnaie ayant cours légal en France (l'euro), en espèces (en dessous d’un certain montant), par chèque barré ou par virement sur un compte bancaire ou postal au nom du salarié.
Même si ce texte n’interdit pas formellement un autre mode de paiement, il ne le permet pas.
Par ailleurs, le salaire concerne la monnaie et la monnaie dépasse le cadre du droit du travail. Le code monétaire et financier prévoit donc également que « Le salaire est payé dans les conditions fixées par l'article L. 3241-1 du code du travail. » (art. L112-10 du CMF).
En matière de sanctions, le code du travail (art.R.3246-1) prévoit que le fait de méconnaître les modalités de paiement du salaire prévues aux articles L. 3241-1 et suivants est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la troisième classe (soit 450€, art 131-13 du code pénal).
Une jurisprudence existe en matière de paiement de salaires en bitcoin (Cour d'appel de Chambéry, 4 juin 2021, n° 21/00141). L’employeur a été condamné à payer l’employé en monnaie légale, et l’employé a été sommé de restituer les bitcoins qu’il avait pourtant acceptés de recevoir en guise de salaire.
- Selon la décision de la Cour, l’employeur a bien exécuté la décision de première instance en payant son ancien salarié en euros, mais le salarié n’a pas restitué les bitcoins : l’employeur a payé deux fois, et c’est le principal risque connu en cette matière.
1.2. L’exception : les avantages en nature
Le Bulletin Officiel de la Sécurité Sociale prévoit expressément que « Conformément à l’article L.3241-1 du code du travail, le salaire doit en principe être payé en argent. Toutefois, il est admis que le salarié puisse également être rémunéré en nature. »
Le BOSS définit l’avantage en nature comme suit : « l’avantage en nature consiste dans la fourniture ou la mise à disposition d’un bien ou d'un service, permettant au salarié de faire l’économie de frais qu’il aurait dû normalement supporter » et ne l’envisage que sous cette forme correspondant à « une économie de frais que le salarié aurait dû supporter personnellement ».
- Les crypto-actifs ne répondent pas à cette définition.
Pour la Cour de cassation[1] : « les avantages en nature sont des biens ou services fournis par la société aux salariés ou aux dirigeants pour leur usage privé, gratuitement ou moyennant une participation inférieure à la valeur réelle » [2].
D’un point de vue strictement limité au droit du travail, la qualification d’avantage en nature en cas de rémunération sous forme de crypto-actifs pourrait être discutée compte-tenu de la définition du BOSS (voir ci-dessous les conséquences fiscales et sociales, qui n’entrent pas dans ces débats).
Le BOSS précise officiellement que la rémunération sous forme d’avantage en nature « peut dans certains cas couvrir l’intégralité de la rémunération du salarié, à condition que la valeur réelle de ces avantages lui assure une rémunération au moins égale au SMIC ».
Cela renvoie en partie à une décision de la Cour de cassation rendue le 27 mars 1990 (n° 87-43.813), particulièrement intéressante à analyser sous un angle contemporain.
Dans cette affaire, un salarié, percevait exclusivement des avantages en nature (logement, eau, gaz, électricité) en contrepartie de son travail. La cour d'appel avait rejeté sa demande de rappel de salaire au motif que les avantages en nature constituaient une rémunération suffisante, sans vérifier si cette rémunération atteignait le montant du SMIC.
La Cour de cassation, en cassant cet arrêt, n'a cependant pas interdit en soi le paiement intégral en nature. Elle a simplement rappelé qu'il fallait vérifier que la valeur des avantages consentis au salarié atteignait bien le montant minimum légal, en l’occurrence le SMIC.
Ce point est crucial, car la décision n'interdit pas expressément un paiement intégral en nature, tant que le minimum légal est respecté. Cela ouvre une réflexion sur la possibilité d'autres formes de rémunération alternatives, comme les crypto-actifs.
- La décision de la Cour de cassation du 27 mars 1990 concerne des avantages en nature traditionnels (logement, eau, gaz, électricité). L'assimilation de cette jurisprudence au paiement en crypto-actifs est hasardeuse, car les crypto-actifs ne sont pas des biens ou services analogues aux avantages en nature classiques.
2. Droit monétaire et financier
« Ne peut être effectué en espèces ou au moyen de monnaie électronique le paiement d'une dette supérieure à un montant fixé par décret, tenant compte du lieu du domicile fiscal du débiteur, de la finalité professionnelle ou non de l'opération et de la personne au profit de laquelle le paiement est effectué.
Au-delà d'un montant mensuel fixé par décret, le paiement des traitements et salaires est soumis à l'interdiction mentionnée à l'alinéa précédent et doit être effectué par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal ou à un compte tenu par un établissement de paiement ou un établissement de monnaie électronique qui fournit des services de paiement. » (article L.112-6).
Ce texte a été rédigé dans l'optique de contrôler et limiter l'usage de paiements en espèces et en monnaie électronique au-delà d'un certain seuil, principalement pour des raisons de transparence, de traçabilité et de lutte contre la fraude fiscale ou le blanchiment d’argent.
Cependant, ce qui intrigue ici, c'est la manière dont il définit spécifiquement les moyens de paiement autorisés pour les salaires pour des montants au-delà de ce seuil.
Plutôt que de se limiter à un seuil pour les paiements en espèces ou en monnaie électronique (ce qui aurait permis aux crypto-actifs de ne pas être concernés compte-tenu de leur nature juridique distincte des espèces ou de la monnaie électronique), la loi impose l'usage de moyens de paiement déterminés et formellement reconnus et régulés — comme les chèques barrés, les virements bancaires ou postaux, ou encore via le recours aux établissements de paiement qui répondent à une régulation bien établie.
Exclusion des crypto-actifs
Les crypto-actifs ne sont pas assimilés juridiquement à de la "monnaie électronique" telle que définie par la législation européenne ou française. Par exemple, un paiement en BTC ou en ETH ne passerait pas par un établissement de paiement traditionnel tel qu'un virement SEPA ou un chèque bancaire.
Des sanctions lourdes
L’article L112-7 du CMF prévoit le débiteur ayant procédé à un paiement en violation de l’article L. 112-6 ci-dessus est passible d'une amende dont le montant est fixé compte tenu de la gravité des manquements et qui ne peut excéder 5 % des sommes payées en violation des dispositions susmentionnées. Le débiteur (employeur) et le créancier (salarié) sont solidairement responsables du paiement de cette amende.
3. Points d’attention fiscaux / cotisations
Dans l’hypothèse où une entreprise procéderait à un paiement de tout ou partie d’un salaire en crypto-actifs, il serait primordial, tant pour l’employeur que pour l’employé, de ne pas ajouter des risques fiscaux/sociaux à ceux décrits ci-dessus (notamment l’amende de 5% prévue par le CMF).
En application de l’article L.136-1-1 du code de la sécurité sociale, les cotisations, CSG et CRDS sont dues sur « toutes les sommes ainsi que les avantages et accessoires en nature ou en argent qui y sont associés ».
Fiscalement, l’article 82 du CGI prévoit que « pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus[3] ».
3.1. Pour l'employeur
- Les avantages en nature en crypto-actifs doivent être évalués et apparaitre sur le bulletin de salaire en euros au moment de leur attribution.
- Les cotisations patronales sont dues sur la valeur en euros des avantages en nature.
- La sortie des crypto-actifs de l'actif de l'entreprise peut générer une plus-value ou une moins-value.
3.2. Pour le salarié
- La valeur en euros des avantages en nature doit impérativement être déclarée et soumise à l'impôt sur le revenu comme des salaires classiques.
- Les cotisations salariales sont prélevées sur la valeur en euros des avantages en nature.
- En cas de revente des crypto-actifs, le salarié réaliserait une plus-value ou une moins-value. Il existerait des arguments pour retenir comme prix d’acquisition la valeur des cryptoactifs au jour de leur transfert dans le portefeuille de l’employé.
- Les plus-values sur cession de crypto-actifs sont imposées au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % si elles sont réputées réalisées à titre occasionnelles dans le cadre de la gestion du patrimoine privé (article 150 VH bis du Code général des impôts), sauf option pour le barème progressif. Elles peuvent également être soumise aux règles applicables aux BNC lorsqu’elles sont réalisées par une personne assimilée à un professionnel, ce qui pourrait éventuellement être caractérisé dans ce type de configuration.
3.3. Le cas original où le salarié ne perçoit que des avantages en nature
Lorsqu’un salarié est rémunéré exclusivement en avantages en nature l’article R. 242-1 du code de la sécurité sociale prévoit qu’il est exonéré des cotisations salariales, CSG, CRDS (seules les cotisations patronales sont dues, calculées sur la valeur de ces avantages).
A ma connaissance, il n’a jamais été fait application de cette règle pour le cas où un salarié serait rémunéré exclusivement en crypto-actifs.
- Une telle situation pourrait clairement être considérée comme abusive et entrainer de lourdes conséquences en l’absence de rescrit de l’URSSAF ou de jurisprudence.
Extrait lettre ministérielle 237/91 du 29/03/1991 :
Avantages en nature
10. Question. - Doit-on précompter la C.S.G. lorsque la rémunération n'est constituée que d'avantages en nature ?
Réponse. - Il n'y a dans ce cas ni C.S.G., ni cotisations salariales (art. R242-1 du code de la sécurité sociale).
Extrait de la circulaire DSS/SDFSS/5B/N°2003/07 du 7 janvier 2003 (https://sante.gouv.fr/fichiers/bo/2003/03-04/a0040220.htm )
"2-3. Salariés rémunérés exclusivement par des avantages en nature
Dans cette situation qui peut concerner les employés au pair, seules les cotisations patronales sont dues sur la valeur des avantages en nature."
[1]
Cass. 2e civ., 26 nov. 2015, n° 14-26.353
[2] CA Colmar, 4s, 8 déc. 2022, n° 21/01833
[3] Tant les dispositions fiscales que celles relatives aux cotisations sociales n’envisagent que le cas où les avantages en nature seraient accordés en plus d’un salaire en argent.