Responsabilité des PSAN et obligations LCB-FT
TJ de Paris (18/09/2024, n°23/13786)
Entre le 27 décembre 2019 et le 11 février 2020, M. J., âgé de 82 ans, a réalisé, par l'intermédiaire de son conseiller dédié chez la société Coinhouse (PSAN enregistré auprès de l'Autorité des marchés financiers), onze transactions totalisant 760 332 euros. Ces fonds ont été convertis en bitcoins et transférés vers des adresses publiques appartenant à un individu identifié comme M. R.
En octobre 2022, M. J. s'est déclaré victime d'une escroquerie, affirmant avoir été manipulé par un tiers pour effectuer ces opérations. Il a mis en demeure Coinhouse de lui restituer les bitcoins transférés, soutenant que la société avait manqué à ses obligations d'information, de conseil et de vigilance. Face au refus de Coinhouse, M. J. a assigné la société en justice, sollicitant notamment la réparation de son préjudice financier et moral.
Arguments du demandeur
M. J. a fondé sa demande sur plusieurs points clés :
- Manquement à l'obligation légale de vigilance (LCB-FT) : Il a soutenu que Coinhouse n'avait pas respecté les obligations issues du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Selon lui, la société aurait dû détecter les anomalies liées à ses transactions, compte tenu des montants inhabituels et des informations contradictoires fournies.
- Manquement aux obligations contractuelles d'information, de conseil et de mise en garde : M. J. a affirmé que Coinhouse n'avait pas rempli son devoir d'informer un client profane des risques inhérents aux cryptoactifs, notamment les risques d'escroquerie, et de le conseiller de manière adéquate.
- Faute lourde et complicité : Il a allégué que Coinhouse avait commis une faute lourde en facilitant activement les transactions frauduleuses et en échangeant directement avec l'escroc.
- Pratiques commerciales trompeuses : M. J. a également accusé Coinhouse de se livrer à des pratiques commerciales trompeuses en se présentant comme un acteur sécurisé tout en n'assurant pas une vigilance suffisante.
Décision du tribunal
Le tribunal a rejeté l'ensemble des demandes de M. J., en s'appuyant sur les motifs suivants :
- Sur l'obligation légale de vigilance (LCB-FT) : Le tribunal a rappelé que les obligations de vigilance prévues par le code monétaire et financier ont pour finalité exclusive la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ces obligations ne visent pas à protéger les clients contre des escroqueries individuelles. Par conséquent, M. J. ne pouvait pas invoquer ces dispositions pour engager la responsabilité de Coinhouse.
- Sur les obligations contractuelles : Le tribunal a constaté que Coinhouse avait rempli ses obligations d'information et de vigilance. M. J. avait signé un questionnaire attestant de sa compréhension des cryptoactifs et des risques associés. De plus, les transactions étaient cohérentes avec les informations fournies par M. J., notamment concernant sa capacité financière.
- Sur la faute lourde et la complicité : Il a été établi que Coinhouse avait agi conformément aux instructions de M. J., sans anomalies apparentes qui auraient pu justifier un blocage des opérations. L'échange avec le tiers avait été initié par M. J. lui-même, qui avait présenté le bénéficiaire comme un membre de sa famille.
- Sur les pratiques commerciales trompeuses : Aucune preuve n'a été apportée pour démontrer que Coinhouse avait induit en erreur ses clients ou manqué à ses engagements contractuels.
Implications sur la responsabilité des PSAN
Cette décision clarifie plusieurs points importants concernant la responsabilité des PSAN :
- Limitation de l'obligation de vigilance : Les PSAN ne sont pas tenus de s'immiscer dans les affaires de leurs clients au-delà des obligations légales de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ils ne peuvent être tenus responsables des fraudes commises par des tiers en l'absence d'anomalies manifestes.
- Respect des instructions du client : Les PSAN doivent respecter les ordres donnés par leurs clients, sauf en cas de doute sérieux sur leur légitimité. Une intervention excessive pourrait contrevenir au principe de non-ingérence.
- Importance des procédures KYC : La réalisation de procédures de connaissance du client (KYC) solides et documentées peut protéger les PSAN contre des allégations de manquement à leurs obligations.
Conclusion
Cette affaire souligne la nécessité pour les utilisateurs de cryptoactifs de faire preuve de vigilance et de se prémunir contre les escroqueries. Elle rappelle également que les PSAN, tout en ayant des obligations légales strictes, ne peuvent être tenus responsables des manipulations subies par leurs clients en l'absence de manquements avérés à leurs obligations.
Les PSAN doivent néanmoins continuer à renforcer leurs procédures internes pour détecter les anomalies et protéger leurs clients, tout en respectant le cadre légal qui régit leur activité.